cyclone Trajectoires des systèmes cycloniques de la saison 2021-2022 dans le sud-ouest de l'océan Indien

Météo-France

Bilan de la saison cyclonique 2021-2022 dans le Sud-Ouest de l'océan Indien

24/06/2022

La saison cyclonique 2021-2022 a connu un nombre élevé de phénomènes, mais avec une majorité de tempêtes tropicales, la plupart modérées, de sorte que l’on doit considérer que l’activité globale n’a été que légèrement supérieure à la normale. Mais cette saison cyclonique aura été singulière à bien des égards, avec nombre de faits ou d’événements totalement inédits. Elle a été extrêmement dense, avec un cœur de saison hyper-actif faisant suite à un démarrage exceptionnellement tardif. La multiplicité des météores a participé du fait que les terres habitées n’ont pas été épargnées, à commencer par Madagascar, qui a été confrontée à un nombre record de systèmes. Sur les treize météores de la saison, près de la moitié d’entre eux a, en effet, impacté la Grande Île, avec pas moins de six atterrissages, un nombre jamais observé auparavant.

Les faits marquants de cette saison

Une première partie de saison aux abonnés absents, avec zéro activité perturbée jusqu’au 20 janvier, une première: jamais depuis le début de l’ère satellitaire (1967), la saison n’avait démarré aussi tard.

Puis un cœur de saison hyper actif, avec 9 tempêtes et cyclones en l’espace d’un mois et demi: là encore du jamais vu.

– Au total, une saison qui a vu le développement d’un nombre élevé de phénomènes, avec 13 tempêtes, mais seulement 5 qui ont atteint le stade de cyclone.

Près de la moitié de ces systèmes, soit 6, a impacté (et traversé) Madagascar, dont 5 qui ont touché terre sur la côte Est de la Grande Île. Là encore de l’inédit, puisque ces deux valeurs établissent deux nouveaux records: jamais Madagascar dans sa globalité, et sa côte orientale en particulier, n’avaient eu à subir les assauts d’autant de phénomènes cycloniques lors d’une même saison.

Le 6ème système qui a permis d’établir ce record, JASMINE, est en soi un système hors norme: c’est la première tempête tropicale connue à se former sur la partie centrale du Canal de Mozambique à une date aussi tardive dans la saison (fin avril). JASMINE a, en outre, atterri à proximité de Tuléar, pour ce qui constitue probablement l’impact d’un système dépressionnaire le plus virulent (en termes de vents du moins) qu’ait subi la "cité du soleil", depuis le début de l’ère satellitaire.

Quatre systèmes dépressionnaires ont également concerné le Mozambique, dont deux significativement, ce qui constitue là aussi un nombre inhabituellement élevé, mais pas exceptionnel. Par contre, le fait exceptionnel c’est que GOMBE a été le quatrième cyclone à frapper le Mozambique en quatre ans, et ça c’est sans précédent depuis 1967.

Les Mascareignes s’en sont comparativement mieux sorties, même si elles ont été soumises également à la succession rapprochée inédite des deux cyclones BATSIRAI et EMNATI, alors au summum de leur puissance, mais par chance sans impact direct.

Une activité cyclonique concentrée sur un peu plus de trois mois et demi seulement

L’activité cyclonique a été extrêmement dense durant cette saison 2021-2022, puisque concentrée sur un peu plus de trois mois et demi seulement. Treize tempêtes tropicales se sont formées durant ce laps de temps, soit une de plus que lors de l’exercice précédent, mais seulement cinq ont évolué jusqu’au stade de cyclone tropical, une proportion moindre que la normale (mais ils ont tous été classés intenses en temps réel, cependant). Malgré ce nombre élevé de phénomènes, l’activité globale de cette saison doit néanmoins être jaugée comme seulement légèrement supérieure à la normale.

Atteindre un tel niveau d’activité constitue toutefois une vraie prouesse, si l’on considère qu’au 20 janvier le compteur était encore à zéro, avec une absence totale d’activité jusqu’à cette date, un fait sans précédent depuis le début de l’ère satellitaire (i.e. 1967). Car il a, en effet, fallu attendre la troisième décade de janvier, pour voir la saison (enfin) démarrer, avec le futur système ANA.

Pourtant, malgré ce démarrage exceptionnellement tardif, le bilan final est largement excédentaire (en termes de nombre de phénomènes du moins). Ce qui implique que la suite de la saison a fait plus que rattraper le retard initial. Il a fallu pour cela que l’activité perturbée mette les bouchées doubles. De fait, à une première partie de saison totalement atone, sans la moindre activité jusqu’à une date très avancée (établissant donc un nouveau record de tardiveté pour le démarrage de la saison), a succédé une activité frénétique, record également.

Un mois et demi durant, l’activité perturbée s’est en effet déchaînée, cumulant pas moins de neuf tempêtes tropicales et cyclones entre le 22 janvier et le 7 mars (soit l’équivalent d’une saison cyclonique entière d’activité normale!). Du jamais vu depuis le début de l’ère satellitaire, là encore. Sept systèmes en l’espace d’un laps de temps aussi réduit, cela arrive régulièrement durant le cœur de saison (il y a même le cas remarquable de la saison 1991-1992, durant laquelle on a assisté au développement de sept systèmes en trois semaines!). Huit, c’est déjà rarissime (cas de la saison 1983-1984). Neuf, c’est totalement inédit.

Et comme quatre systèmes supplémentaires sont venus compléter le tableau, le bilan final de l’exercice 2021-2022 s’établit donc à treize tempêtes ou cyclones, un nombre très élevé, puisqu’il n’a été surpassé qu’en deux occasions seulement au cours des 50 dernières années (on rappelle que la normale correspond au développement de neuf à dix tempêtes tropicales, dont statistiquement environ la moitié atteignent le stade de cyclone tropical).

Pour autant, l’on ne peut pas considérer cette saison 2021-2022 comme figurant parmi les plus actives de ces cinq dernières décennies. Le nombre conséquent de phénomènes recensé doit en effet être relativisé par le fait que six d’entre eux, près de la moitié donc, n’ont été que de simples tempêtes tropicales modérées (sur la zone Sud-Ouest de l’océan Indien s’entend, i.e. à l’ouest de 90°Est s’agissant de KARIM), qui plus est relativement éphémères, puisque se maintenant à ce stade durant moins de 48h en moyenne. De sorte que le nombre de jours cumulés d’activité perturbée significative (i.e. avec la présence sur le bassin d’un système dépressionnaire au stade de tempête tropicale ou de cyclone) s’établit à 59 jours (contre 68 lors de l’exercice précédent, malgré un système de moins), soit une valeur un peu au-dessus de la normale, tandis que les 19 jours cycloniques (nombre de jours avec la présence sur zone d’un cyclone tropical) sont eux rigoureusement dans la norme. En termes d’ACE (acronyme anglais signifiant Énergie Cyclonique Cumulée – paramètre intégré prenant en compte la durée de vie et l’intensité des phénomènes, et permettant d’évaluer plus objectivement le degré d’activité d’une saison), le constat est similaire, positionnant cette saison 2021-2022 légèrement au-dessus de la moyenne (cf.graphe ci-dessous).

ACE (acronyme anglais signifiant Énergie Cyclonique Cumulée)

Retour sur les prévisions saisonnières d'activité cyclonique

Dans ses désormais traditionnelles prévisions saisonnières d’activité cyclonique diffusées début novembre, le CMRS/Centre des Cyclones tropicaux de La Réunion annonçait pour la saison 2021-2022 à venir, une "activité proche de la normale" sur le bassin du Sud-Ouest de l’océan Indien, ce qui a donc bien été le cas. Dans le détail, il était précisé que l’on s’attendait, avec une probabilité de 70%, d’avoir entre 8 et 12 tempêtes tropicales, dont 4 à 6 évoluant en cyclones tropicaux. Si le nombre de cinq cyclones observés se situe pile dans la bonne fourchette, celui du nombre de tempêtes a par contre été un chouïa supérieur (mais cela n’a tenu qu’à la formation tardive de KARIM en extrême limite orientale de la zone sud-ouest océan Indien – où il n’est d’ailleurs resté que quelques heures au stade de tempête tropicale modérée).

Dans ce même communiqué sur les prévisions saisonnières d’activité cyclonique, il était par ailleurs indiqué que, tout comme lors de la saison 2020-2021, et dans un contexte de grande échelle présentant certaines analogies (en particulier la prévalence d’une situation La Niña dans le Pacifique équatorial), les zones de genèses seraient à nouveau privilégiées sur la moitié Est du bassin. Cela s’est effectivement vérifié, puisqu’une majorité de systèmes (huit sur treize), a vu le jour à l’est du 65ème méridien Est (la plupart même à l’est de 80°Est).

L’autre élément majeur mis en avant concernant l’activité cyclonique prévue, était relatif à la typologie des trajectoires et ses implications. Il était ainsi anticipé qu’une "majorité de trajectoires [seraient] orientées vers l’ouest ou le sud-ouest, amenant alors potentiellement des systèmes à impacter les terres habitées de la zone Ouest du bassin, particulièrement la côte Est de Madagascar, les Mascareignes, voire aussi la côte du Mozambique". Dans les faits, cette prévision s’est on ne peut mieux vérifiée durant toute la première partie de saison. La tendance s’est ensuite quelque peu inversée avec les quatre derniers systèmes de la saison, qui n’ont pas suivi des trajectoires de type zonal. Mais jusqu’à la mi-mars, la plupart des systèmes ont, plus ou moins durablement au cours de leur existence, suivi une trajectoire en direction de l’ouest ou de l’ouest-sud-ouest, avec pour répercussion directe l’occurrence d’atterrissages multiples, sur la façade orientale de Madagascar tout particulièrement. Les deux cyclones emblématiques de la saison, les frères siamois BATSIRAI et EMNATI, au comportement et à la trajectoire étonnamment similaires, ont été les représentants les plus symptomatiques de cette tendance, traversant ainsi le bassin sur plusieurs milliers de kilomètres, avant de menacer les Mascareignes, puis de frapper Madagascar.

Le risque était évidemment exacerbé pour les météores amenés à se développer sur la partie occidentale du bassin. De fait ceux-ci n’ont pas été en reste et les trois systèmes formés au nord des Mascareignes (ANA, DUMAKO et GOMBE) ont tous impacté la côte nord-orientale de Madagascar, à des intensités certes relativement modestes, mais avec des conséquences pluvieuses malgré tout loin d’être anecdotiques. Ces trois systèmes ont tous traversé la Grande Île et poursuivi leur route sur une trajectoire zonale jusqu’au Mozambique, ANA, et surtout GOMBE, impactant assez sévèrement la province de Nampula.

Mais au total ce sont donc pas moins de cinq phénomènes qui ont atterri sur la côte Est de Madagascar (ce en l’espace de 45 jours seulement). Car aux trois impacts précédents, se sont rajoutés ceux sans commune mesure des cyclones BATSIRAI et EMNATI, venus coup sur coup frapper le Sud-Est du pays. Si l’on ajoute à cela qu’un dernier système, la tempête tropicale JASMINE, a touché l’Île Rouge fin avril, du côté sud-ouest cette fois-ci, ce sont finalement six météores qui auront concerné directement la Grande Île. Dans les deux cas, il s’agit d’un record. Quatre systèmes frappant la côte Est de Madagascar, cela était déjà arrivé à plusieurs reprises (en 2000, en 1994, en 1988 sur les quatre dernières décennies), mais cinq c’est inédit. De même, le nombre total de six phénomènes à toucher la Grande Île durant cette saison 2021-2022, constitue un fait sans précédent. Le record était jusqu’à présent de cinq (lors de la "grande" saison 1993-1994, ainsi qu’en 1983-1984).

Et ce record, on le doit à un sixième système en lui-même hors norme, puisque la forte tempête tropicale JASMINE constitue une vraie singularité, presque une anomalie. En effet, si des cyclogenèses de nature subtropicale sont régulièrement observées au sud du Canal de Mozambique en fin de saison, et tout particulièrement au mois d’avril (cela a d’ailleurs été le cas cette saison, avec ISSA apparu au large de l’Afrique du Sud une douzaine de jours avant JASMINE), c’est la première fois depuis le début de l’ère satellitaire que l’on assiste à une cyclogenèse purement tropicale sur la partie centrale du Canal à un moment aussi avancé de la saison (le risque de cyclogenèse étant normalement peu ou prou éteint à cette période, du fait que le flux de mousson s’est alors retiré du Canal). JASMINE a, qui plus est, atterri sur la côte sud-ouest de Madagascar, à proximité de la ville de Tuléar, au stade de forte tempête tropicale, et cela contribue à rendre JASMINE encore plus unique, puisque la "cité du soleil" n’avait pour ainsi dire jamais été touchée directement par un phénomène d’une telle intensité.

Cette année 2022 restera donc comme une annus horribilis pour Madagascar, qui a beaucoup souffert de cette succession inédite – et rapprochée – de phénomènes cycloniques. Une fois n’est pas coutume, c’est la partie sud du pays qui a été la plus sévèrement impactée, et tout particulièrement la région de Vatovavy-Fitovinany au sud-est de la Grande Île, douloureusement frappée, en l’espace de 17 jours, successivement par le cyclone, alors classé intense, BATSIRAI, puis par le cyclone EMNATI. La ville de Mananjary a été la plus éprouvée, subissant avec BATSIRAI son pire impact cyclonique depuis plus de 25 ans (les derniers événements d’ampleur comparable remontant au cyclone Edwige en février 1996, et surtout au cyclone Alibera, le 1er janvier 1990). EMNATI était moins puissant au moment de son atterrissage, mais a concerné une large portion de côte, depuis le secteur de Mananjary jusqu’au sud de Manakara.

Les Mascareignes s’en sont relativement mieux sorties, même si elles ont subi l’influence du passage très rapproché des deux cyclones BATSIRAI et EMNATI, de forte intensité au moment de leur transit au nord de Maurice puis de La Réunion, mais, par chance, à une distance suffisante pour que les deux îles ne soient pas touchées par le cœur réellement dangereux de ces deux cyclones.

En début de vie, la zone perturbée à l’origine de la future tempête tropicale JASMINE, avait préalablement copieusement arrosé l’archipel des Comores. Elle avait ensuite circulé temporairement sur la côte mozambicaine de la province de Nampula, mais avec des effets mineurs. Elle sera tout de même comptabilisée comme le quatrième système dépressionnaire de la saison à avoir touché le Mozambique, un nombre élevé et peu fréquent, mais pas exceptionnel (cela avait d’ailleurs déjà été le cas lors de l’exercice précédent 2020-2021). Par contre, il faut noter que GOMBE est le quatrième cyclone à frapper le Mozambique en l’espace de quatre ans. Une telle répétition est une première depuis le début de l’ère satellitaire.

Enfin, il est un autre territoire de l’Afrique australe qui a, hélas, aussi fait parler de lui durant cette saison. Il s’agit de l’Afrique du Sud, qui a connu, à la fin de la première décade d’avril, des inondations meurtrières, les pires depuis celles de septembre 1987, qui ont fait plus de 400 morts dans la province du KwaZulu-Natal et dans la région de Durban tout particulièrement. Dans la continuité de cet épisode pluvieux dramatique, un système dépressionnaire de nature subtropicale (nommé ISSA) s’est formé non loin au large de la côte sud-africaine, y demeurant ensuite plus de 36 heures durant.

Et à La Réunion ?

La Réunion a connu un mois de février agité, avec deux alertes rouges à dix-huit jours d’intervalle, en lien avec le passage successif des cyclones BATSIRAI et EMNATI. BATSIRAI a ainsi mis fin à 8 années sans alerte rouge (la dernière remontant au cyclone BEJISA, début janvier 2014), la plus longue période sans alerte rouge dans l’histoire contemporaine du département.

Ces deux cyclones aux comportements et trajectoires étonnamment similaires, ont renoué avec la grande tradition des cyclones arrivant par le nord-est (les cyclones dits "St-Brandon", du nom de l’archipel corallien situé à quelque 800 km au nord-est de La Réunion, à proximité duquel transitent ordinairement tous ces cyclones, qui représentent plus de 90% des menaces cycloniques ayant historiquement affecté l’île). Cette tradition avait connu une longue mise entre parenthèses, puisque les deux derniers événements marquants en date, BEJISA en 2014 et FAKIR en 2018, avaient correspondu à des phénomènes à l’origine et aux trajectoires atypiques, puisque tous deux formés au nord-est de Madagascar (au voisinage de l’archipel seychellois de Farquhar) et arrivés par le nord-nord-ouest de La Réunion.

Cyclones à la fois larges et puissants au moment de leur passage au nord de Maurice, puis de La Réunion, BATSIRAI et EMNATI ont eu la mansuétude d’épargner aux îles sœurs les affres d’un impact direct, qui aurait de toute évidence été catastrophique. Avec une influence durable, venteuse, mais demeurant dans des limites raisonnables, et pluvieuse importante (surtout pour BATSIRAI et principalement dans les Hauts), ces deux épisodes très perturbés ont constitué une piqûre de rappel (à bon compte) que La Réunion demeure une terre de cyclones et que, tôt ou tard, l’île ne pourra pas toujours être aussi chanceuse de bénéficier d’une trajectoire favorable lui évitant d’être frappée de plein fouet.

Les deux épisodes pluvieux induits par EMNATI et surtout BATSIRAI, ont grandement contribué à la pluviométrie largement excédentaire observée dans l’intérieur et dans le Sud de l’île lors de ce mois de février 2022 (plus de 2m de précipitations recueillis dans Mafate sur les deux épisodes, près de 3m au volcan), et ont apporté leur écot à la pluviométrie également excédentaire de la saison des pluies dans son ensemble. Contribution en l’occurrence décisive pour faire en sorte que celle-ci figure au 5ème rang des saisons des pluies les plus arrosées sur les 50 dernières années. Une aubaine pour la ressource en eau de l’île, après trois années de sécheresse…

Et à Mayotte ?

Mayotte n’a pas connu d’activation de son système d’alerte cyclonique cette saison. Pour autant, elle n’a pas été exempte de toute influence. Le minimum dépressionnaire associé à la zone perturbée qui donnera naissance quelques jours plus tard à la tempête tropicale JASMINE, a même transité sur l’île hippocampe le 21 avril, mais le système était à un stade encore très embryonnaire à ce moment-là. L’activité pluvieuse induite par le passage de la zone perturbée a toutefois amené de bonnes pluies sur l’île.

Cela avait également été le cas quelques semaines plus tôt, quand ce qui n’était encore que la forte tempête tropicale GOMBE, avait circulé à bonne distance au sud de l’archipel comorien, entre le 9 et le 10 mars.