Le cyclone intense BATSIRAI
14/02/2022
Le cyclone tropical Batsirai a frappé la côte orientale de Madagascar en soirée du 5 février 2022, son centre pénétrant sur terre un peu au nord de la ville de Mananjary, qui a été durement éprouvée par cet impact cyclonique, le plus violent dans ce secteur de la Grande Île depuis plus de 25 ans (les derniers événements d’ampleur comparable remontant au cyclone Edwige en février 1996, et surtout au cyclone Alibera, le 1er janvier 1990).
Préalablement à cet atterrissage sur Madagascar, le cyclone avait sévèrement affecté les conditions météorologiques à La Réunion, du 2 au 5 février. Mais cela aurait pu être bien pire, car l’île a par chance bénéficié d’une trajectoire favorable, lui valant d’être épargnée par le cœur du phénomène, où étaient concentrées les conditions les plus extrêmes associées au météore.
Le centre du cyclone a, en effet, eu le bon goût de ne pas se rapprocher à moins de 190 km des côtes du département. Mais il est demeuré à moins de 220 km (au nord) quelque 26h durant, se mouvant lentement l’essentiel de la journée du 3 février, tout en longeant l’arc des 200 km de distance. Ce déplacement ralenti, a eu pour conséquence de maintenir plus longuement le département sous l’emprise du météore, générant ainsi un épisode venteux et pluvieux durable sur l’île. Si les vents sont généralement restés dans des limites raisonnables (sauf localement dans les Hauts), du fait de l’éloignement suffisant du cœur dangereux du cyclone, l’influence pluvieuse a été exceptionnelle dans l’intérieur de l’île, plus particulièrement sur les hauteurs du volcan et dans les cirques, avec, une fois n’est pas coutume, le cirque ordinairement le plus sec, Mafate, qui a été le plus copieusement arrosé.
Chronologie de l’événement
Le futur cyclone Batsirai est né bien loin de La Réunion (et a fortiori de Madagascar), ses prémices émergeant le 24 janvier au milieu de l’océan Indien, à quelque 3800 km du département, aux confins de la zone de responsabilité du CMRS/Centre des Cyclones tropicaux de La Réunion. La perturbation embryonnaire s’éloigne même temporairement le lendemain (jusqu’à la distance maximale de 3900 km), suite à un crochet en direction du sud-est la faisant passer temporairement à l’est du 90ème méridien Est. Quittant ainsi, pour un peu moins de 24h, la zone de responsabilité du CMRS, elle y revient toutefois rapidement, dès le tout début de journée du 26, après un virage en direction de l’ouest-sud-ouest opéré l’après-midi précédente.
Dès ce moment-là, les prévisions à longue échéance disponibles indiquent une menace importante pour l’ensemble des îles de l’archipel des Mascareignes (à échéance de 8 jours pour La Réunion, ce qui s’avérera un timing exact), susceptibles dans le pire des cas d’être potentiellement visitées les unes après les autres par le météore, au fil d’une trajectoire qui devrait demeurer très zonale (i.e. orientée globalement est-ouest).
Devenue tempête tropicale modérée dans la nuit du 26 au 27, la toute fraîchement nommée Batsirai connaît une phase d’intensification expresse en journée du 27 (favorisée par l’extrême petitesse de la partie centrale du météore), qui l’amène au stade de cyclone tropical dans l’après-midi, avant de s’affaiblir presque aussi rapidement en soirée.
de Météo-France (CMRS Cyclone de La Réunion) le 01/02/2022 à 16H00 locale
Batsirai a franchi le 80ème méridien Est et sa trajectoire vient de se redresser quasiment plein ouest, à quelque 1600 km à l’est-nord-est de l’île Rodrigues, le centre de ce qui est redevenu une simple tempête tropicale, louvoyant dès lors le long du 18ème parallèle Sud au cours des 36h suivantes. Puis la trajectoire oblique en direction de l’ouest-nord-ouest au petit matin du 29 janvier. Ce changement de cap durable, puisque se prolongeant plus de 48h durant, jusqu’au matin du 31 janvier, va être salutaire pour les trois îles Mascareignes. À commencer par Rodrigues, puisque le centre de Batsirai transite finalement, en cette même journée du 31 janvier, à plus de 400 km au nord de la possession mauricienne, qui ne connaît ainsi qu’une influence marginale au passage du météore, redevenu depuis le 29 cyclone tropical, mais toujours de très petite taille.
Mais salutaire également pour Maurice et La Réunion, car c’est grâce à cette longue remontée en direction de l’équateur, ramenant le centre du phénomène au nord du 16ème parallèle Sud, que les deux îles sœurs vont bénéficier d’une trajectoire plus favorable, les laissant in fine à distance suffisante du centre du phénomène pour échapper à un impact direct. Car une incurvation de la trajectoire en direction de l’ouest-sud-ouest est prévue et elle intervient effectivement en fin d’après-midi de ce 31 janvier, peu après le passage à l’aplomb de l’île Rodrigues.
Batsirai se situe à ce moment-là à environ 960 km dans l’est-nord-est de La Réunion (en situation de pré-alerte cyclonique depuis la veille en fin de journée déjà), pour laquelle une dégradation du temps est annoncée, mais avec une trajectoire prévue qui devrait toutefois permettre à l’île de rester en marge externe du cœur du système. Et si cette trajectoire favorable se vérifie, ce sera providentiel, car Batsirai est anticipé devenir un cyclone dangereux, avec la conjonction de deux éléments: un environnement météorologique qui va s’améliorer au fur et à mesure de sa progression vers des latitudes plus sud, lui permettant de s’intensifier, et dans le même temps un élargissement probable du phénomène.
Toutes ces prévisions vont se réaliser. De cyclone très compact et d’intensité relativement modérée, Batsirai va devenir un cyclone tropical de forte intensité, et de dimension nettement élargie.
En fin de journée du 1er février, Batsirai transite au sud de l’archipel de St-Brandon, en phase d’intensification. Le phénomène atteint finalement son maximum d’intensité dans l’après-midi du 2 février, au stade de cyclone tropical intense, avec des vents moyens estimés culminer à 200 km/h, ce qui signifie des rafales maximales sur mer à plus de 280 km/h. Le centre du cyclone est alors au plus près de l’île Maurice, à environ 155 km au nord-nord-ouest, et à 270 km au nord-est de La Réunion, en alerte orange depuis 6h du matin.
image satellite de Batsirai (canal visible) le 03/02/2022 à 16H00 locale
Le rapprochement final de La Réunion au cours des 24h suivantes, s’accompagne d’un cycle de remplacement du mur de l’œil, évolution interne se produisant fréquemment au sein des cyclones et qui voit le remplacement de l’œil initial par un nouvel œil plus large. Ce processus, s’il s’accompagne généralement d’un affaiblissement temporaire des vents les plus violents présents au voisinage du mur de l’œil, contribue par contre à élargir la zone de vents forts (vents de force tempête et ouragan typiquement) autour de celui-ci.
La Réunion reste fort heureusement en dehors de la zone d’extension de ces vents les plus forts, mais subit malgré tout une influence venteuse et pluvieuse importante. Et d’autant plus importante que le météore a vu son déplacement ralentir fortement à l’approche du département. Tout au long de la journée du 3 février, Batsirai ne progresse qu’à 6-7km/h, ce qui contribue à maintenir plus longuement le département sous l’emprise du météore. Les vents tempétueux de secteur est balayent les façades nord et sud, avec des vents soufflant jusqu’à 120-130 km/h en pointe sur le littoral, les rafales excédant localement les 150 km/h dans les Hauts les plus exposés. Des valeurs en totale conformité avec les valeurs annoncées 48h avant l’arrivée du cyclone. Tandis que les pluies les plus conséquentes, diluviennes dans l’intérieur de l’île, se produisent dans la partie arrière du météore, nettement plus humide que la partie avant.
Le déplacement ralenti retarde également le début d’éloignement du météore, dont le centre longe l’arc des 200 km de distance de nos côtes une bonne partie de la journée. Ce n’est finalement qu’en soirée, que le centre du cyclone commence de, très lentement, s’éloigner, après avoir transité à un peu plus de 190 km au nord-nord-ouest au plus près. Les conditions ne vont toutefois que très lentement s’améliorer sur l’île, se dégradant même classiquement dans certains secteurs. Avec la rotation des vents plus est-nord-est, la région nord-ouest (Possession, Le Port) jusque-là protégée par le relief, subit la rentrée brutale du vent, tandis que dans l’axe des Plaines, les vents de nord-est s’engouffrent puissamment, descendant de la Plaine des Cafres jusque dans les bas par bourrasques, au Tampon ou à l’Entre-Deux, voire même jusqu’à St-Louis. L’alerte rouge en vigueur depuis 19h le 2 février, peut cependant être levée en matinée du 4 février.
Batsirai se dirige maintenant vers Madagascar, et pour la Grande Île, il n’y a hélas pas d’échappatoire possible; l’immense barrière nord-sud qu’elle représente sur la route du cyclone, ne peut pas lui permettre d’éviter un impact qui s’annonce dévastateur. Car malgré de nouvelles fluctuations de son intensité, c’est un cyclone tropical mature qui se rapproche inexorablement, et qui tend même à reprendre de la vigueur dans les heures finales précédant l’arrivée de l’œil sur la côte orientale de la Grande Île. Le centre de Batsirai touche finalement terre en soirée du 5 février, légèrement au nord de la ville côtière de Mananjary, qui se retrouve du mauvais côté de la trajectoire, exposée à la marée de tempête et aux vents les plus violents, alors estimés souffler jusqu’à 230 km/h pour les rafales maximales.
La Pluviométrie
Sur l’ensemble de l’épisode, les postes les plus arrosés (cumul sur 5 jours climatologiques*) se situent dans les Hauts, notamment sur le Volcan et dans le Cirque de Mafate.
Cumul de précipitation entre le 1er et le 5 février 2022
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Cumuls remarquables sur 5 jours
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2160 mm à Bellecombe-Jacob
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2044 mm à Commerson
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1540 mm à La Nouvelle
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1284 mm à Aurère
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1259 mm à Cilaos
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1259 mm à Grand-Galet
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1055 mm à Ilet à Vidot
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985 mm à Piton Maïdo
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977 mm à Plaine des Cafres
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891 mm à Pont d’Yves
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887 mm à Plaine des Chicots
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868 mm à La Crête
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851 mm au Tampon
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781 mm au Dimitile
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773 mm à Grand-Ilet
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761 mm à Piton-Bloc
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743 mm à Mare à Vieille Place
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Intensités remarquables sur 5 jours
Si cet épisode a été exceptionnel par sa durée, il l’a été également par l’intensité des précipitations à l’approche et au transit de Batsirai au plus près de la Réunion.
Quelques valeurs remarquables du 2 au 4 février :
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Bellecombe-Jacob: 1815 mm en 2 jours (valeur la plus élevée depuis 1966 battant le record de 1638 mm en 48h de janvier 1980 – Cyclone Hyacinthe)
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Aurère : 1143 mm en 48 heures (supérieure au quantile décennal)
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Grand-Coude : 896 mm en 48 heures (2ème valeur la plus élevée depuis 1978 derrière le record de 981 mm de Janvier 2018 – Forte Tempête Berguitta).
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Pont d’Yves: 736 mm en 48h (valeur la plus élevée depuis 2001 battant le record de 671 mm de mars 2006 – Forte Tempête Diwa)
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Cilaos : 492 mm en 12 h (supérieure au quantile décennal)
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Grand-Galet : 486 mm en 12 h (supérieure au quantile décennal - 3ème valeur la plus élevée depuis 1978)
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Le Guillaume : 329 mm en 24 h (supérieure au quantile décennal)
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Le vent au passage de Batsirai
L'épisode de vent est remarquable surtout pour sa longévité avec 36 heures consécutives de vent supérieur à 100 km/h relevé à la station de Gillot-Aéroport!
Vents maxi au cours de l'épisode BATSIRAI
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dans les Hauts
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Piton Maïdo : 208 km/h de nord le 4 à 01h59
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Gîte de Bellecombe : 159 km/h de nord-est le 3 à 17h00
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Petite-France : 142 km/h de nord-est le 3 à 22h10
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Cilaos : 142 km/h de sud-est le 3 à 18h16
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Plaine des Cafres : 133 km/h de nord-est le 3 à 21h46
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Plaine des Palmistes : 113 km/h d’est le 3 à 23h12
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Colimaçons : 81 km/h le 3 à 00h00
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dans les bas
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Le Port : 135 km/h d’est-nord-est le 3 à 21h57
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Pont-Mathurin : 127 km/h le 4 à 01h32
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Pierrefonds-Aéroport : 124 km/h d’est-sud-est le 3 à 17h04
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Gillot-Aéroport : 122 km de sud-est le 3 à 10h06
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Bellevue Bras-Panon : 117 km/h d’est le 3 à 16h20
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Gros Piton Ste-Rose : 111 km/h de sud-est le 2 à 09h15
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Pointe des Trois-Bassins : 98 km/h de sud-sud-est le 2 à 15h24
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Le Baril : 96 km/h de sud-est le 3 à 17h18
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St-Benoît : 96 km/h de sud-est le 1 à 17h02
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Qualification de l'événement
Batsirai a renoué avec la grande tradition des cyclones arrivant par le nord-est (historiquement, plus de 90% des cyclones qui ont menacé La Réunion sont arrivés par ce secteur), tradition un peu perdue ces dernières années, puisque les deux événements les plus notables de la dernière décennie, Fakir en 2018 et Bejisa en 2014, avaient été des événements atypiques (tous deux formés au nord-est de Madagascar – au voisinage de l’archipel seychellois des Farquhar – ces deux cyclones étaient arrivés par le nord-ouest de l’île).
Inscrivant son nom dans la longue lignée de ces cyclones dits de "St-Brandon" (du nom de cet archipel corallien mauricien situé à 800 km au nord-est de La Réunion, au voisinage duquel transitent tous ces phénomènes arrivant par le nord-est), Batsirai succède ainsi à Gamede (en 2007) et à Dina (en 2002), les deux cyclones les plus marquants depuis le début du 21ème siècle. S’il ne peut rivaliser en termes d’impact avec Dina, dont le centre était passé beaucoup plus près, il n’en demeurera pas moins comme un événement mémorable.
Mettant entre parenthèses l’espace de quelques jours la crise sanitaire, la gestion de cette crise météorologique Batsirai a, en particulier, occasionné le maintien du département en alerte rouge 38h durant. La dernière alerte rouge à La Réunion remontant à huit ans en arrière (avec l’épisode Bejisa, début janvier 2014), Batsirai a ainsi mis un terme à la plus longue période sans alerte rouge dans l’histoire contemporaine de l’île. Après une telle ère de calme (relatif) inhabituellement longue, Batsirai a constitué comme une piqûre de rappel pour ceux qui auraient oublié que La Réunion reste une terre de cyclones.