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Hommage à Vernon DVORAK

23/09/2022

Hommage à un visionnaire de l’analyse des cyclones tropicaux : Vernon DVORAK, décédé le 19 septembre 2022 à l'âge de 93 ans.

Si ce patronyme peut de prime abord plus vous faire penser à un célèbre compositeur de musique tchèque (Antonin Dvorak, auteur, entre autres œuvres, de la Symphonie du nouveau monde), pour la communauté météorologique, il renvoie immédiatement à celui d’un météorologue américain, reconnu comme une figure marquante dans l’histoire de la connaissance des cyclones, et dont le nom restera indissociablement lié à la Technique d’analyse des systèmes dépressionnaires tropicaux via l’imagerie satellitaire classique (visible ou infrarouge) qu’il a développée, et qui a révolutionné le suivi opérationnel des cyclones. Car si V. Dvorak n’a pas créé un "nouveau monde", il a, sans conteste, ouvert une nouvelle ère dans le suivi des cyclones.

Vernon Dvorak nous a quittés, mais il laisse en héritage un travail fondateur dans l’analyse de l’intensité des systèmes dépressionnaires tropicaux à partir de l’imagerie satellitaire. Travail de valeur inestimable, qui a résisté à l’épreuve du temps et qui survivra à son auteur. Car la "Technique de Dvorak" fait en effet toujours référence, bien que quasiment 50 ans se soient écoulés depuis la parution de sa première publication en 1973 ("A technique for the analysis and forecasting of tropical cyclone intensities from satellite pictures"), et malgré tous les développements technologiques intervenus depuis.

Quand les premières images satellites sont apparues au début des années 1960, il a été possible pour la première fois d’avoir une vision globale des systèmes dépressionnaires tropicaux, que ce soit pour observer leur structure à un instant t, telle qu’affichée sur les images de l’époque (images papier noir et blanc très frustes – rien à voir avec nos superbes animations satellites colorisées actuelles), mais également pour étudier les évolutions de leur structure au fil de leur cycle de vie.

Assez rapidement, il est apparu que des structures nuageuses caractéristiques revenaient régulièrement, avec bien sûr la configuration à œil, typique de l’état mature des cyclones, mais également d’autres configurations observables en début ou en fin de vie, quand aucun œil n’était apparent. En comparant les images satellites avec des données observées in situ lors de reconnaissances aériennes (avions "chasseurs de cyclones" qui pénètrent au cœur des cyclones pour y faire des mesures), il s’est avéré qu’il y avait un lien de corrélation très fort entre l’intensité des phénomènes cycloniques et le degré d’organisation des masses nuageuses associées. D’où l’idée de s’appuyer sur l’analyse des structures nuageuses affichées sur l’imagerie satellitaire, pour tenter d’estimer indirectement l’intensité des systèmes dépressionnaires tropicaux.

Quatre configurations nuageuses différentes du cyclone tropical CARINA du 25 au 28 février 2006

illustration 1 : ci-dessus, quatre configurations nuageuses différentes (par ordre chronologique : Amas nuageux central dense – CDO pour l’acronyme anglais correspondant –, Bande Incurvée, œil en bande, œil), lors de la phase d’intensification du cyclone tropical CARINA (évolution observée entre les 25 et 28 février 2006, à raison d’une image par jour). Dans la Technique de Dvorak, une étape importante consiste à considérer et évaluer l’évolution suivie par le système nuageux, à un pas de temps journalier. Pour ce faire, il est requis de comparer les images satellites à 24h d’intervalle (pour s’affranchir du parasitage induit par le cycle diurne de la convection).

Quelques tentatives pionnières en la matière virent le jour, basées sur de la reconnaissance de forme. On peut mentionner les travaux de R. W. Fett en 1964 et 1966, ou de Fritz en 1966, la première avancée vraiment notable étant toutefois le fruit du travail de Vincent J. Oliver, synthétisé dans un document NESC – National Environmental Satellite Center – de l’ESSA (Environmental Science Services Administration, l’administration fédérale ancêtre de la NOAA actuelle) intitulé "Tropical Storm classification system" et datant de juin 1968.

Mais après avoir tenacement planché durant plusieurs années sur le sujet, passant outre le scepticisme ambiant sur la faisabilité de sa démarche, c’est à Vernon Dvorak que revenait finalement le mérite de livrer le travail le plus abouti en la matière. En 1973, il publie la première version de la Technique qui bientôt portera son nom et lui vaudra la postérité.

Plusieurs versions successives, de plus en plus raffinées, suivront. Une technique pour l’analyse avec l’imagerie infrarouge complétera notamment la technique initialement développée pour l’imagerie Visible. La dernière version, datant de 1984, constitue encore à l’heure actuelle la technique la plus universellement utilisée pour estimer l’intensité des systèmes dépressionnaires tropicaux en l’absence de données in situ (reconnaissance aérienne).

De ce fait, il n’est pas excessif de dire que V. Dvorak a révolutionné le suivi des systèmes dépressionnaires tropicaux. Pour appréhender la puissance inouïe, presque magique, de la technique qu’il a développée, il suffit de se représenter que, au vu d’une simple image satellite prise depuis l’espace, à des centaines ou milliers de km d’altitude, il est possible grâce à elle d’estimer, avec une bonne précision, la force maximale des vents qui soufflent au même moment sous le cyclone, au niveau de la surface terrestre. Autrement plus fort que de deviner l’âge du capitaine au vu de sa photo !

Outre sa robustesse, son faible coût (une simple image satellite suffit pour ainsi dire) et la très bonne qualité (prouvée) des estimations d’intensité auxquelles elle permet d’aboutir, une des forces de la Technique de Dvorak, est que, partant d’une étude empirique, elle a évolué et abouti à la création d’un modèle conceptuel de développement des systèmes dépressionnaires tropicaux, qui va au-delà de la simple analyse d’intensité, mais permet même de faire des prévisions d’intensité, certes basiques, mais qui sont longtemps demeurées les meilleures qu’il était possible de faire, à courte échéance du moins.

Sans entrer dans les détails de la Technique, disons que, pour faire simple, elle permet, pour une configuration nuageuse donnée (parmi les cinq types de configurations retenues pour classer toutes les structures nuageuses possibles) et après analyse et mesure des caractéristiques nuageuses observées sur l’image satellite, d’aboutir, via un arbre de décisions, à un nombre compris entre 1 et 8 sur l’échelle d’intensité définie par Dvorak (qui est un peu le pendant de l’échelle de Richter pour les tremblements de terre). Une correspondance est ensuite effectuée entre cette intensité "satellite" et une grandeur physique plus concrète (force maximale des vents ou minimum de pression centrale), pour aboutir à l’intensité estimée du système dépressionnaire telle que figurant dans les bulletins diffusés par les différents centres d’expertise cyclonique.

À La Réunion, cela fait plus de quatre décennies que la Technique de Dvorak est devenue l’outil de base pour estimer l’intensité des systèmes dépressionnaires tropicaux amenés à se développer sur le bassin du Sud-Ouest de l’océan Indien. Même si depuis quelques années, avec l’avènement de nouvelles technologies et moyens satellitaires, de nouvelles données d’observation ont pris une importance grandissante dans le processus d’analyse de l’intensité des phénomènes cycloniques, le poids des analyses Dvorak demeure malgré tout largement dominant.

 

Modèle conceptuel de développement d’un cyclone élaboré par V. Dvorak et échelle d’intensité associée

illustration 2 : Modèle conceptuel de développement d’un cyclone élaboré par V. Dvorak et échelle d’intensité associée. Dans ce modèle de développement climatologique, le nombre T de Dvorak assigné après analyse des caractéristiques du système nuageux (dans le cas d’une bande incurvée, le seul critère pris en compte est le degré d’enroulement de la bande nuageuse) augmente d’un point par jour sur l’échelle d’intensité définie par Dvorak (qui va de 1 à 8, par pas de demi-point).

 

Diagramme d’analyse de Dvorak pour l’imagerie satellitaire en infrarouge renforcé

illustration 3 : Diagramme d’analyse de Dvorak pour l’imagerie satellitaire en infrarouge renforcé. L’infrarouge renforcé (seuillé par gammes de températures) permet de mettre en exergue les sommets nuageux les plus froids associés à la convection profonde présente au sein des systèmes nuageux des phénomènes cycloniques tropicaux. Le diagramme ci-dessus montre, pour chaque configuration nuageuse type, les différentes étapes de l’arbre de décisions élaboré par Dvorak pour estimer l’intensité "satellitaire" du phénomène.