Colina, le cyclone "oublié"…
18/01/2023Il y a 30 ans, le 19 janvier 1993, l’œil du cyclone Colina abordait le littoral nord de La Réunion. C’est le dernier cyclone en date dont l’œil a directement touché l’île. Alors que Colina était le troisième cyclone en l’espace de six ans (après Clotilda en 1987 et Firinga en 1989) dont l’œil ait traversé l’île (une série noire...), un tel événement ne s’est, en effet, plus reproduit depuis (même si cela s’est joué en deux ou trois occasions à peu de chose – les deux derniers cas de cyclones dont l’œil est passé très près des côtes du département étant Fakir en 2018 et Bejisa en 2014). Retour sur cet évènement de l’histoire des cyclones de La Réunion
L’avant Colina : une sécheresse exceptionnelle sévit sur La Réunion (source : éditions du JIR et «Le Réunionnais» des 15 et 16 janvier 1993)
Après 1989 et le passage du cyclone Firinga, les années 1990 à 1992 voient toutes une pluviométrie insuffisante, voire très insuffisante, sur l’île (notamment en 1992). Le début de l’été austral 1992/1993 s’inscrit dans cette continuité sèche, avec des pluies quasiment inexistantes, notamment dans le Sud et l’Ouest de l’île. À la mi-janvier, la situation est critique, aussi bien au niveau de la ressource en eau (nombreuses coupures d’eau), qu’au niveau des feux de végétation : de nombreux feux de broussailles se déclarent dans divers secteurs de l’île, mais la situation la plus préoccupante vient du Grand-Brûlé où, depuis le 12 janvier au soir, un incendie, initialement parti d’un dépôt d’ordures à proximité de la Vierge au parasol, est sur le point de devenir hors de contrôle, en gagnant les Grandes Pentes.
Quand le service météorologique (qui est encore la Météorologie Nationale – ne devenant Météo-France que le 18 juin 1993) annonce la formation d’une dépression tropicale à 1700 km au nord-est de l’île le 14 janvier, toute La Réunion souhaite qu’elle apporte de la pluie, mais sans trop de dégâts. C’est un vœu qui va être globalement exaucé…
Formation et évolution de Colina du 13 au 21 janvier 1993
Trajectoire re-analysée de Colina. Pictos cyclone orange = vents estimés près du centre entre 65 et 115 km/h (stade tempête tropicale) – pictos cyclone rouge = vents estimés près du centre à plus de 120 km/h (stade cyclone tropical).
Les prémices de Colina sont détectés le 13 janvier, à un peu moins de 2000 km au Nord-Est de La Réunion. Baptisé en matinée du 15 janvier, le système ne sera en fait estimé avoir atteint le stade de tempête tropicale qu’en fin de nuit suivante (ré-analyse effectuée par le CMRS). Son déplacement s’effectue vers l’Ouest-Sud-Ouest jusqu’en fin de journée du 17 janvier, ce qui le positionne alors à environ 900 km au nord-nord-est de l’île. Dans les 24h qui suivent, Colina infléchit graduellement sa trajectoire vers le Sud et menace directement La Réunion. Son centre se situe à un peu plus de 500 km des côtes du département en fin de journée du 18 janvier. Colina est alors une forte tempête tropicale et semble bien parti pour devenir un cyclone tropical la nuit suivante. Au matin du 19 janvier, c’est chose faite!
En début de matinée de ce 19 janvier, le centre du désormais cyclone Colina était situé à un peu plus de 200 km de La Réunion, quasiment au plein nord. Une petite inflexion plus Sud-Ouest de la trajectoire laisse penser qu’il passera finalement à environ 150 km au large du Port, mais il n’en sera rien! Colina ralentit fortement son déplacement en cours de matinée, puis redémarre dans l’après-midi plein sud en direction de la côte nord de l’île, qui est atteinte en fin de journée vers 18h30. Le cyclone est alors estimé au maximum de sa puissance, avec des vents moyens sur mer à 140 km/h et des rafales soufflant jusqu’à 190-200 km/h.
Image satellite du 19 janvier vers 16h30 heure Réunion. L’œil de Colina (diamètre moyen de 50 km) s’apprête à toucher La Réunion.
Colina arrivant par le nord, il a été précédé de vents d’est à est-sud-est qui ont balayé les côtes sud et nord. À l’approche du mur de l’œil, les vents se sont renforcés crescendo au fil de l’après-midi. Les habitants d’une partie de l’île, ceux de la région Nord et de la région Ouest, ont ensuite connu le calme de l’œil en fin d’après-midi (l’espace d’une grosse demi-heure pour les habitants de Saint-Denis, avec une pression minimale de 977,1 hPa mesurée à Gillot à ce moment-là), avant de subir le retour brutal du vent, de direction opposée (i.e. d’ouest-nord-ouest à Saint-Denis), en lien avec l’arrivée de la partie arrière du mur de l’œil. Semblant buter sur le flanc nord du massif du Piton des Neiges (voir carte zoomée de la trajectoire lors du passage sur l’île), l’œil de Colina, déstructuré par le relief de l’île, se déplace très temporairement vers le Sud-Ouest, pour ressortir vers 20h au large de la côte ouest. La trajectoire se réoriente ensuite rapidement vers le Sud en accélérant. Colina s’évacue rapidement les jours suivants vers les latitudes extratropicales en s’affaiblissant.
Bilan
Colina était un cyclone "standard", mais il a malgré tout généré des vents très violents, puisqu’au paroxysme de l’événement, les rafales ont culminé à 191 km/h à l’aéroport de Gillot, tandis que le seuil des 200 km/h a été dépassé dans les Hauts exposés (rafale maximale de 205 km/h enregistrée à la Plaine des Palmistes et probablement plus sur les Hauts du Nord, où un pylône haute tension, censé résister à des vents de 230 km/h, a été abattu au Colorado). Cette rafale maximale de 191 km/h mesurée à Gillot, a été supérieure à celle observée lors du passage du cyclone Dina en janvier 2002 (187 km/h).
Pourtant, bizarrement, Colina n’a pas marqué la mémoire des réunionnais comme Dina, ou comme Firinga quatre ans plus tôt. Probablement parce-que l’épisode cyclonique a été beaucoup plus limité dans le temps. Colina étant un cyclone de dimension moyenne se déplaçant assez rapidement, le mauvais temps sur l’île n’aura duré en tout qu’environ 48h (24h de moins qu’un épisode cyclonique classique). De sorte que les cumuls de pluies n’ont pas été phénoménaux, même si l’on a tout de même dépassé le mètre de précipitations à Mafate. Mais pour tous ceux dont c’était la première expérience du passage d’un œil de cyclone, ce que n’a encore jamais vécu toute une génération de réunionnais, Colina reste un souvenir mémorable.
Colina aura donc exaucé en grande partie les attentes des réunionnais : recharger la ressource en eau de l’île, réduire à néant le risque d’incendie (même si l’incendie du Grand-Brûlé, 500 ha brûlés, avait été quasi maîtrisé avant l’arrivée de Colina, grâce aux renforts de métropole et à l’intervention de l’armée), sans avoir généré une catastrophe de l’ampleur de Firinga. Le bilan humain s’élève cependant à 2 morts indirects et à des dégâts matériels tout de même importants, avec des pertes pour l’agriculture et des dommages pour certaines infrastructures (135 habitations endommagées, 2433 personnes hébergées, 100 000 abonnés privés de courant au plus fort du cyclone).
Images
Trajectoire avec les meilleures observations disponibles zoomée sur le passage sur La Réunion. Le jour et l’heure (UTC – rajouter 4h pour avoir l’heure locale Réunion). Les changements de cap et de vitesse de déplacement sont vraisemblablement induits par le relief de l’île.
Paquets de mer sur la route du littoral au matin du 19 janvier. La circulation y sera interdite avant la phase de confinement liée à l’alerte cyclonique maximale (alerte 3 à l’époque). JIR du 20 janvier 1993
Forte érosion côtière à Champ-Borne par la houle cyclonique combinée à la marée de tempête : le restaurant «Le beau rivage» a été partiellement détruit. JIR du 21 janvier 1993
Témoignant de la violence des conditions de vents régnant dans le secteur lors du paroxysme, un pylône haute tension censé résister à des vents de plus de 230 km/h, a été abattu au Colorado. JIR édition spéciale Colina du 23 janvier 1993