cyclone Cyclone tropical IALY à proximité du Kenya

Bilan de la saison cyclonique 2023-2024

27/06/2024

La saison cyclonique 2023-2024 dans le Sud-Ouest de l’océan Indien a connu une activité proche de la normale. 10 tempêtes tropicales se sont développées (normale à 10), dont 7 sont devenus des cyclones tropicaux (normale à 5) et 2 des cyclones tropicaux intenses (normale à 3). Si en matière de nombre de phénomènes observés, cette saison apparaît légèrement plus active que la précédente (NB : on avait observé 9 tempêtes dont 6 cyclones en 2022-2023), la durée de vie assez brève des systèmes lorsqu’ils étaient à maturité (moins de 48h en moyenne) a fortement limité l’activité globale de la saison, contrairement à ce qu’il s’était passé en 2022-2023 (on se souvient de l’interminable cyclone FREDDY !). 7 phénomènes cycloniques sur 10 ont donné lieu à des impacts à minima modérés sur certains pays de la zone. Les trajectoires, s’orientant assez rapidement vers le sud ou le sud-est durant le cœur de saison, ont été plus menaçantes pour les Mascareignes, avec le secteur Réunion-Maurice concerné par le cyclone tropical BELAL et les tempêtes CANDICE et ELEANOR. Madagascar et le Mozambique, ont été aussi touchés avec les cyclones tropicaux ALVARO et GAMANE (Madagascar) ainsi que la tempête tropicale FILIPO (Mozambique). Fort heureusement, il n’y a pas eu d’impact catastrophique comme en février-mars 2023 avec FREDDY. Toutefois, pertes en vies humaines et dommages matériels ont été à déplorer. La saison se termine avec une activité cyclonique aussi tardive qu’inédite au mois de mai, avec l’évolution de 2 cyclones tropicaux (HIDALA et IALY) sur l’extrême nord-ouest du bassin (bien au nord de Mayotte) dans une zone habituellement peu fréquentée par les systèmes dépressionnaires tropicaux. HIDAYA est même venue affecter directement la Tanzanie au moment où heureusement l’ex-cyclone tropical était en voie de comblement rapide à l’approche des terres. Les inondations induites par HIDAYA ont toutefois laissé un très lourd bilan humain et matériel derrière elles, faisant de la Tanzanie le territoire ayant le plus souffert cette saison.

Les faits marquants

Trajectoires cycloniques 2023-2024

NB: Il s'agit des best-tracks (trajectoire retravaillée avec toutes les données disponibles pour estimer au mieux la position, l'intensité et la structure des systèmes) non finalisées. Le travail de réanalyse se fera sur les prochains mois.

Un début de saison tardif ...

Les saisons se suivent et ne se ressemblent décidément pas ! Après une saison 2022-2023 très précoce (première tempête tropicale intervenant fin septembre 2022), il faut attendre le tout dernier jour de l’année 2023 pour voir apparaître la première tempête tropicale (ALVARO), soit un mois et demi après la date du 15 novembre (date médiane de formation de la première tempête tropicale). Ce démarrage tardif est dû à la contribution combinée du phénomène El Nino qui a été en place une bonne partie de l’été austral dans le Pacifique équatorial et d’une phase positive marquée du Dipôle de l’Océan Indien en début de saison. Notre bassin cyclonique est alors concerné dans un tel contexte, par une vaste anomalie de circulation anticyclonique des vents dans les basses couches de l’atmosphère, se manifestant concrètement par une difficulté d’installation d’une Zone de Convergence Intertropicale propice à la formation des tempêtes.

… mais une activité cyclonique soutenue en janvier-février !

Ce retard à l’allumage va toutefois être en grande partie rattrapé car dans le mois et demi qui suit (entre le 31 décembre et le 23 février), 6 phénomènes cycloniques vont évoluer sur le bassin (environ 80 % de l’activité cyclonique de la saison générée durant cette période). Une activité certes soutenue mais qui n’atteint pas le niveau record observé en 2021-2022 (la saison de BATSIRAI et EMNATI) où après un très gros retard au démarrage de saison également, 9 phénomènes cycloniques s’étaient développés en l’espace d’un mois et demi !

En janvier-février 2024, la localisation du maximum d’intensité (LMI) des phénomènes cycloniques se fait à des latitudes anormalement sud pour le bassin. Les 5 systèmes qui ont évolué à l’Est de Madagascar ont tous eu leur maximum d’intensité entre 19°S et 26°S, soit au niveau de l’archipel des Mascareignes ou plus au Sud. Habituellement celui-ci se produit entre 13°S et 20°S. La présence d’eaux de mer très chaudes au Sud de 20°S avec une extension prononcée vers les latitudes australes entre 60°E et 80°E, a très vraisemblablement contribué à cette situation.

Le 30 janvier, le cyclone tropical ANGGREK, formé à la mi-janvier en dehors de la zone de responsabilité du CMRS, devient ainsi le système le plus puissant observé aussi au sud sur notre bassin en étant encore classé cyclone tropical intense à 26°S et en gardant ses caractéristiques de cyclone jusqu’à 30°S. Un peu moins de 20 jours plus tard, le cyclone tropical intense DJOUNGOU devient le phénomène le plus violent de la saison (heureusement loin de toute terre habitée) en tutoyant le stade de cyclone tropical très intense le 18 février juste au nord de 20°S.

Localisation du maximum d'intensité des systèmes de la saison.

Activité cyclonique exceptionnelle au mois de mai !

Après des mois de mars et avril où l’activité cyclonique est en baisse (2 phénomènes formés en mars - FILIPO et GAMANE - mais aucun système baptisé en avril), ce mois de mai 2024 va connaître un regain d’activité aussi spectaculaire qu’inédit, le faisant rentrer dans les annales de l’histoire cyclonique du bassin ! 2 cyclones tropicaux parviennent à se développer (déjà un évènement inédit en soi pour un mois de mai) sur l’extrême nord-ouest du bassin, au large de la Tanzanie et du Kenya, au sein d’une zone habituellement très peu fréquentée par les cyclones !
Car contrairement au début de saison, le mois de mai connaît un prolongement des conditions favorables à la formation des tempêtes et des cyclones avec la présence d’eaux très chaudes sur l’ouest du bassin couplé à un cyclonisme très marqué au sein de la configuration de fin de saison de la Zone de Convergence Intertropicale (configuration en Talweg Proche Equatorial ou TPE). Ce cyclonisme s’étendant en outre de façon très inhabituelle vers le nord-ouest du bassin (en lien avec la présence d’eaux plus chaudes qu’habituellement dans le secteur).

Configuration atmosphérique et océanique en mai 2024

HIDAYA se forme le 2 mai à moins de 300 km au nord de l’archipel des Comores pour devenir un cyclone tropical la nuit suivante. Il se dirige alors vers la côte tanzanienne mais heureusement s’affaiblit rapidement avant d’arriver sur terre, de sorte que c’est sous forme de dépression se comblant que le centre rentre sur terre en journée du 4 mai au sud-est de Dar-es-Salaam. Très peu exposée directement aux cyclones (aucun atterrissage au stade de tempête tropicale ou plus répertorié depuis le début de l’ère satellitaire en 1967 mais 2 références historiques en avril 1952 avec le cyclone de Lindi et en avril 1872 avec le cyclone de Zanzibar), la moitié sud de la Tanzanie subit malgré tout les 3 et 4 mai des fortes pluies et localement des vents forts associés à HIDAYA. L’épisode survenant après un mois d’avril très pluvieux, ses conséquences sont exacerbées : le bilan humain et matériel est très lourd. Le gouvernement tanzanien fait état au 09 mai de 166 morts, de plusieurs dizaines de milliers de personnes affectées et de plus de 1000 maisons endommagées ou détruites.
Le 16 mai, la tempête tropicale IALY se développe à proximité de l’archipel des Farquahr (Seychelles). Son déplacement en direction générale de l’ouest-nord-ouest l’amène à se rapprocher du Kenya dont les côtes se situent à moins de 300 km en journée du 21 mai lorsque le système devient un cyclone tropical. IALY est alors le cyclone le plus tardif et le plus proche de l’équateur depuis le début de l’ère satellitaire (battant le record établi l’année dernière par le cyclone FABIEN). Fort heureusement, on en est resté à une influence très périphérique de ce système sur le Kenya, IALY s’affaiblissant ensuite rapidement et le minimum résiduel venant atterrir en fin de journée du 22 mai sur l’extrême Sud des côtes de Somalie … à moins de 150 km de l’équateur !

Hidaya et Ialy par rapport à la climatologie des trajectoires du bassin

Ce mois de mai exceptionnel permet de hausser l’activité globale de l’activité de la saison à un niveau proche de la normale mais légèrement en dessous.

Evolution au fil de la saison de l'énergie cyclonique accumulée totale (courbe noire)

Retour sur les prévisions saisonnières d’activité cyclonique

Fin octobre 2023, nous anticipions les caractéristiques suivantes pour la saison 2023-2024 (https://meteofrance.re/fr/actualites/prevision-saisonniere-dactivite-cyclonique-dans-le-sud-ouest-de-locean-indien-saison) :

- activité globalement inférieure à la normale
- 5 à 8 tempêtes tropicales avec 2 à 4 devenant des cyclones tropicaux
- novembre à janvier : activité réduite avec 1er système potentiellement tardif
- janvier à avril : activité cyclonique plus soutenue au nord des Mascareignes
- trajectoires orientées majoritairement vers le sud ou le sud-est
- risque d’impact atténué pour Madagascar et le Mozambique
- risque d’impact maintenu proche de la normale pour les Mascareignes

Du point de vue de l’activité globale de la saison, cette prévision a sous-estimé l’activité observée. Néanmoins, il faut se rendre compte que jusqu’à fin avril, cette prévision restait tout à fait pertinente. On observait alors 8 tempêtes dont 5 cyclones et une énergie cyclonique cumulée bien en dessous de la normale. Il a fallu ce mois de mai à l’activité exceptionnelle pour s’écarter de la prévision ! A l’impossible nul n’est tenu … et il est évidemment hors du scope de cette prévision d’octobre, d’anticiper une telle activité au mois de mai !
Pour les autres aspects plus qualitatifs, le changement de typologie de trajectoire lié à la bascule vers un contexte El Nino, et la concentration de l’activité au nord des Mascareignes à partir du mois de janvier (impliquant le maintien d’un risque d’impact à minima climatologique sur les îles) sont des éléments de la prévision qui se sont plutôt bien vérifiés. Avec le décalage très prononcé de l’activité cyclonique vers l’Ouest du bassin, le risque atténué d’impacts sur Madagascar et le Mozambique ne s’est pas vraiment avéré exact ... même si on peut rappeler que « risque atténué » n’implique pas « zéro impact » !

Comparaison entre les prévisions d'évolution de l'activité cyclonique sur le bassin, tel qu'envisagé fin octobre, avec ce qui s'est vraiment passé.

Quelle influence sur La Réunion ?

2024 a mis fin à une période de 31 ans (à 4 jours près) où aucun œil de cyclone n’avait circulé sur l’île. Le 15 janvier 2024, l’œil du cyclone BELAL circule sur la moitié est de l’île et génère un épisode cyclonique tel que La Réunion n’en a pas connu depuis le passage du cyclone DINA à proximité de l’île en janvier 2002 (il y a 22 ans). Fort heureusement, le cyclone ne s’est pas autant intensifié que ce qu’on pouvait craindre et les conditions de vents les plus extrêmes régnant dans le mur de l’œil (ayant pu approcher les 200 km/h sur certaines zones en hauteur du nord de l’île comme à la Montagne) n’ont pas duré bien longtemps (moins d’une heure). De plus, BELAL avait de plus une répartition très inégale des vents et de la pluie autour de son œil, la partie arrière étant beaucoup moins active que la partie avant.

Retrouvez toutes les informations sur le passage de BELAL sur notre site à l’adresse : https://meteofrance.re/fr/actualites/le-cyclone-tropical-belal

Un peu plus d’une semaine après, la tempête tropicale CANDICE se forme et évolue à proximité de Maurice. Dans sa périphérie, elle génère une influence essentiellement pluvieuse sur la moitié sud de l’île pendant 5 jours entre les 22 et 26 janvier.

Retrouvez le bilan pluviométrique à La Réunion de ce mois de janvier 2024 très perturbé (1 cyclone + influence en périphérie d’une tempête + un épisode pluvio-orageux conséquent sur le sud de l’île en fin de mois) : https://meteofrance.re/fr/actualites/les-pluies-de-janvier-2024-la-reunion

Les Mascareignes sont une nouvelle fois menacées en février avec la forte tempête tropicale ELEANOR dont le cœur effleure l’île Maurice le 22 mais dont les impacts sur La Réunion sont assez anecdotiques (courte séquence pluvieuse sur le Sud + mer houleuse sur les côtes est et sud-est).

Les Mascareignes auront été influencé directement par 3 systèmes dépressionnaires tropicaux: le cyclone BELAL et les tempêtes tropicales CANDICE et ELEANOR.

Et Mayotte ?

Mayotte continue d’être préservé du passage des phénomènes cycloniques cette année. La surveillance a dû être accentuée toutefois à 2 reprises pour parer à toute éventualité : début mars lors du transit du minimum dépressionnaire lié au futur FILIPO (aucune influence significative au final) et lors de la formation de HIDAYA au nord de l’île début mai, où l’on ne pouvait pas écarter pendant un temps le scénario d’une descente plus franche vers Mayotte.